PRESIDENTIELLE 2020 DANS LA CEDEAO : Vers une redistribution des cartes ?

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Après une dizaine d’années sans trouble-fête, les élections de 2020 en Guinée, au Burkina Faso, au Niger, au Togo, en Côte d’Ivoire pourraient redistribuer les cartes dans cet espace acquis à la Cause de la France. Peut-on s’attendre à des basculements ? Sinon, quels changements pourraient advenir ? Après les élections au Mali, au Bénin, au Sénégal, peut-on s’attendre à un retour de dirigeants contestataires dans le pré carré français ?

Abidjan, Ouagadougou, Lomé semblent bien en ordre. Ces capitales se débattent d’ailleurs pour accueillir le Président Macron ou l’un de ses proches collaborateurs. Pékin, Berlin, Washington n’ont pas encore réussi à bousculer les groupes français se partageant les marchés dans cet espace (Bouygues, Bolloré, Areva, Total, Colas, Cfao, Air France, Accor, Société Générale…) Un vent de Dégagisme semble souffler en Afrique, emportant généralement les candidats sortants et/ou leurs dauphins (Bénin, Sénégal, Ghana). Y’a-t-il de quoi inquiéter les intérêts français dans l’espace CEDEAO à la veille de ces élections ?

AUTOPSIE DES ETATS CONCERNES

Côte d’Ivoire (Octobre 2020) : Le RHDP du Président sortant, le PDCI du président Bédié, le FPI du président Gbagbo, Générations et Peuples solidaires du président Guillaume Soro semblent bien positionnés pour jouer les premiers rôles de la future présidentielle. Le Président ivoirien devrait être issu de l’une de ces formations politiques. En dehors des cadres du FPI, ceux des trois autres formations politiques ne semblent pas disposés à déplacer les bornes même si le ministre Jean Louis Billon (issu du PDCI) s’est plaint après la concession du conteneur du port d’Abidjan à Bouygues dans des conditions qu’il a jugées non transparentes.

Ghana (Décembre 2020). Paris, 9 juillet 2019. Nana Akufo-Addo, le Président ghanéen a pu vendre son pays devant un parterre de chefs d’entreprise français dont les intérêts pour le pays de Nkrumah ne cessent de croitre. Accra, habitué à l’Indirecte Rule, garde le ton courtois avec Paris qui sait à quoi s’en tenir. Les cadres du NDC, PNC, RPD, NPP devraient garder le cap de la diversité des partenaires économiques.

Guinée (Octobre 2020). Avec une vieille tradition contestataire (avec le NON de 1958), le pays de Sékou Touré se prépare pour la présidentielle à venir. La rue fait déjà parler d’elle avec le projet de modification constitutionnelle du président sortant. Le président Alpha CONDE se sent obligé de recourir à la rhétorique de la Rupture avec la France, les puissances impérialistes comme l’ont fait Sékou Touré, Dadis Camara avant lui afin de susciter la mobilisation de ses compatriotes autour de son projet.

Mali (législative, mai), Burkina Faso (Octobre 2020), Niger (Décembre 2020). Le 12 octobre 2019, la population manifeste à Sévaré contre la MINUSMA, co-accusée avec l’opération française Barkhane d’inertie face à la situation sécuritaire dans le centre du pays, exprimant le niveau d’exaspération et d’élévation de la température. Le même jour, à Ouagadougou était organisée, par plusieurs associations, une journée anti-impérialiste pour demander le départ des forces étrangères. Si les autorités du Burkina Faso et du Niger ainsi que les leaders de l’opposition jouent la carte de l’apaisement, de la continuité, la société civile ouagalaise et bamakoise n’entend pas se la faire conter.

Togo. Les poids lourds du champ politique togolais (UNIR, UFC, ANC, CAR, CDPA) se préparent pour la compétition de février 2020. Même si l’opposition se débat par tous les moyens constitutionnels pour faire tomber le président sortant, le ton reste apaisé avec Paris.

LES PARTIS PRESIDENTIELS ET LA SOLIDARITE INTER ETATIQUE

Les partis qui remportent l’élection présidentielle dans notre région deviennent des ‘’partis au pouvoir’’, collaborant avec les autres partis ayant remporté la présidentielle dans les autres Etats quels que soient leurs divergences. Rarement un parti au pouvoir dans un Etat X a soutenu un parti d’opposition dans un Etat Y à quelques exceptions près. Dans un tel contexte, les scénarios ne sont pas si évidents pour les partisans de la Rupture. Même si le Président Guinéen parvenait à se maintenir, il serait assez isolé, contesté à l’interne et donc le cas guinéen n’aurait aucune incidence géopolitique en termes de mouvements transnationaux. Même si au Togo, le Clan Eyadéma arrivait à vaciller, les échanges entre Conakry et Lomé sont si faibles qu’il serait difficile de faire basculer les intérêts français.

Quelle marge de manœuvre pour des Etats endettés comme la Côte d’Ivoire qui peut subir la pression des marchés financiers à tout moment ? Même un Laurent Gbagbo rentrant triomphalement pour remporter la présidentielle 2020 réfléchirait par 2 fois avant de tenir certains discours. Les mesures d’austérité ne seront presque jamais assez loin de son bureau. Au-delà de ces enjeux idéologiques, quelle devrait être leur politique sécuritaire dans une région en proie aux menaces terroristes ? Au piratage en mer ?

LA NECESSITE DE COLLABORER AVEC PARIS SUR LE DOSSIER SECURITAIRE

En contexte de menace terroriste doublée du piratage en mer pour certains Etats, l’orientation stratégique devrait prendre en compte l’avis de Paris quels que soient les vainqueurs des élections à venir… Toutes les forces de défense et de sécurité ont besoin de la coopération de l’armée française, de l’Opération Barkhane, du financement du G5 sahel… Les marges de manœuvre sont assez étroites. De toutes les façons, Ouaga, Bamako, Niamey sont en mode survie ; manœuvrant pour éviter d’imploser, pour conserver la part du territoire où leur autorité est reconnue pour l’instant. Quelle marge de manœuvre pour la société civile et les partis d’opposition ?

Terrorisme, piratage en mer, cela fait trop de menaces pour nos Etats. Cela ne revient pas à dire que Paris activerait les mouvements terroristes. Il faudra tout simplement craindre qu’il traine les pas en cas d’attaques terroristes d’envergure. Et ça, nos Décideurs politiques en sont conscients. Les élections de 2020 ne devraient pas bousculer les relations entre Paris et la CEDEAO ; à moins que Pékin et Moscou s’y investissent à fond…

*Dr Sylvain N’GUESSAN est le président du Cercle de Réflexion Stratégique d’Abidjan (CRSA). Il dirige, par ailleurs, le Groupe d’Etudes et de Travail ‘’Relations économiques internationales et Diplomatie’’.